lundi 2 mars 2015

Barroco

Dans les quartiers de Buenos Aires où je cheminais j’allais de surprises en surprises, fasciné. Les gestes architecturaux foisonnent et prolifèrent tels une gigantesque tumeur urbaine. Nous logions dans le barrio « San Telmo ». C’est celui que j’ai le plus arpenté, que j’ai le mieux découvert. Situé au S-O de la mégapole, entre barrios riches et le très populaires « La Boca », ce quartier a un côté baroque dans ses paysages urbains et dans sa population. Les bâtiments privés ou publics s’escriment à écrire, entre ciel et pavés, une composition de lignes hétérogènes qui contrebalancent la monotone perpendicularité des rues. A l’évidence il n’y a aucune unité architecturale dans cette ville, exception faite des quartiers plus récents et huppés où les gratte-ciels racontent une mondialisation, ici aussi présente et terriblement ennuyeuse. Dans San Telmo les façades des immeubles mélangent styles et couleurs sans aucun soucis ni d’harmonie ni d’ordonnance. Et le street-art rajoute une couche dans cette anarchie joyeuse et ravissante à mes yeux. Mais il y a une particularité que j’ai découverte ici et vue nulle part ailleurs.

La végétation clandestine 

De cette ville on m’avait dit que j’aimerais les parcs assez nombreux et souvent bien entretenus. Je les ai traversés et en effet ils sont grands et beaux. Mais ce n’est pas cette verdure-là qui m’a plu. Ce qui m’a intrigué ce sont les résurgences du végétal là où il ne devrait pas être. Sur la façade des maisons, au bord des toits ou des fenêtres, entre deux pierres ou dans les gouttières, sur tous les encorbellements et toujours de façon insolite, là où le vent généreux porte des semences, la végétation reprend ses droits. Ce ne sont que plumets d’herbes ou branches grêles qui empanachent les immeubles. Il y ainsi, pour qui se promène le nez en l’air, un jardin suspendu clandestin et ténu qui décore les perspectives de Buenos Aires.


Comme le nénuphar de Chloé

Ces herbes sauvages, pour moi, métaphorisent le travail réalisé par les élèves-comédiens dans la partie porteña du projet « El syndrome ». Sergio Boris n’a pas cessé de leur demander d’accueillir dans leurs registres d’acteur l’inattendu, le grincement, la surprise, l’imprévisible tout ce qui les bouscule sans cesse hors de tout confort de langage et de jeu. Cette perpétuelle mise en danger, dans cette fiction au cœur du Tigre où la chaleur, l’eau et les plantes constituent un milieu propice à donner vie aux créatures les plus fantasques, aux maladies les plus étranges comme le mystérieux « Syndrome », cette mise en danger devrait donner, dans la dernière partie de l’aventure quand Sergio et Adrian les rejoindront à Bordeaux pour continuer le travail, une écriture de plateau foisonnant de matières organiques à même de dépasser la frontière entre vie et mort dans cette écume des jours où le pire peut accoucher d’un flamboyant poème.

Gérard-responsable pédagogique de l'ESTBA

vendredi 27 février 2015

Jour 25 : jeudi 26 février // Whiplash ou Coup de fouet...... !

A l’heure des dernières chaleurs estivales, la première étape de notre création s’achève demain. Après un mois de doutes, de peurs, de crises, de remises en question, nous repartons sans trop savoir ce qui nous attend, car un grand flou demeure. 

Ce mois a été pour moi un long moment de réflexion, seul, mais aussi envers le groupe, car force de propositions, il a fallu savoir quand se mettre en avant, et quand laisser la place pour trouver un équilibre et créer, du moins tendre vers cela, une vraie pièce collective. Ce n’est pas toujours évident d’avoir assez de recul pour comprendre tout ce qui se passe dans nos têtes et sur le plateau, où le temps s’arrête et où je ne me sens presque maître de rien, avec un Sergio très imaginatif, mais je crois que si nous croyons réellement en notre art, s’il est pour nous si immense et si vital, nous trouverons le moyen d’atteindre cet idéal magnifique ! 

Yukio Mishima a écrit ceci et ce sont de beaux mots pour terminer et repartir en France gonflé de bonheur, riche de notre jeunesse et de ce pays, heureux de notre art : 
« J’aime la destruction autant que l’équilibre. Plus exactement, le concept d’un équilibre contrôlé et construit dans le but exclusif de sa propre destruction finale, est ma conception dramatique et même esthétique fondamentale. »
 Anthony - élève

jeudi 26 février 2015

Dernières répétitions à l'Espacio Callejón, avant de se retrouver en juin à Bordeaux

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 25 février 2015 © DR










dimanche 22 février 2015

À l'Espacio Callejón, les répétitions s'enchaînent

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

samedi 21 février 2015

Jour 19 : vendredi 20 février // Sentir le temps

Je suis fasciné de voir le temps s’arrêter sur scène. Je ne pense plus à rien, ni au passé, ni à l’avenir. Nous faisons un filage en roue libre, cela dure 1h30. Que penser de nous ? Si ce n’est que notre travail devient minimaliste, économique. Tout se condense et chaque regard peut être un poignard, chaque étreinte peut étouffer. L’incarnation se savoure, et nous jouons à déjouer nos codes d’acteurs français. Car ici, il n’y a pas de texte, ou très peu, et moi qui suis un fervent défenseur du théâtre classique, je me laisse gagner par le plaisir de créer ensemble une œuvre unique, empreint de mystères, et de sauvagerie.... Car si le texte n’est pas le moteur premier, et que notre langue d’expression est ici un espagnol très approximatif, voire inventé, que reste-il à part nos corps, nos regards, nos silences. Une expressivité nouvelle naît lentement, je la croyais insoupçonnée... La réalité devient déconcertante, déroutante. 
Je m’amuse beaucoup à jouer un personnage de metteur en scène insupportable, capricieux et angoissé. Il est facile d’aller chercher en moi, ou chez d’autres artistes du théâtre français, cette part d’ombre dictatoriale, où le théâtre n’est plus seulement un jeu, un art, mais un chemin de croix. Je suis à la recherche de la limite juste, entre l'intransigeance et la catastrophe. J’aime beaucoup ce travail d’acteur si précieux, où notre intériorité est activée, où chaque regard posé sur un camarade, chaque secret susurré, chaque absence de mots s’accordent à raconter une histoire nouvelle, où, pour l’heure, je ne retiens que la perte de soi, la peur et le besoin des autres, du groupe, comme un microcosme singulier qui oscille entre déchirure des chairs et lumière noire...
Anthony - élève 

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR

À l'Espacio Callejón, le 20 février 2015 © DR
 

jeudi 19 février 2015

Cabaña tigrense

Ça commence quand Sergio évoque un lieu dans la campagne envahie de moustiques. Puis il précise que cette « cabane » se situe dans le delta du rio de la Plata, le Tigre.  Soit « la cabane du Tigre » toutes portes et fenêtres grandes ouvertes sur les phantasmes. Dans cet univers de boues, de moiteurs et de végétations envahissantes les histoires sont de bonnes pourvoyeuses de cauchemars. Ne dit-on pas que ce delta fut un lieu de non droits dans lequel on peut encore entendre certains soirs, dans de certains endroits les voix des enfants, des femmes ou des hommes rançonnés, parfois torturés et assassinés ? Les improvisations débutent. Dans l’une un personnage entretient une conversation avec son âme. Le comédien joue alternativement  et son corps et son âme faisant entendre leurs voix distinctes. Moment de vertige où l’écriture de plateau brouille les codes, le stand-up côtoie l’ombre double du « Soulier de satin ». Se succèdent une partie de pêche dans un seau en plastique rouge qui conduit à un concours de catatonie puis à un suicide dans la rivière. 

Fragments de films

Sur les canaux du Tigre circulent des lanchas, bateaux de ravitaillement qui emmènent eau potable et vivres aux habitants du delta. Si on rate son passage et que les réserves sont épuisées il faudra attendre la suivante pour boire et manger. Et Sergio propose que dans la fiction elle ne passe qu’une fois par mois. Alors quand les personnages l’imaginent partir, s’arrêter, faire mine de revenir et finalement disparaitre, là ça vire au tragique d’autant qu’un couteau circule entre envies de meurtres et suicides. Ces tensions contradictoires approfondissent, densifient et multiplient les facettes du jeu. J’y vois,  en filigrane,  sourdre la figure d’Anna Magnani dans « Mamma Roma » de Pasolini. Autre moment d’échos cinématographiques cette improvisations dans laquelle deux femmes arrivent dans une cabaña où les accueille au homme au sourire figé. Il veut absolument qu’elles mangent. Cette volonté opiniâtre gauchie l’hospitalité et torture. Parfois, les regards de l’homme se teintent d’une insondable cruauté. Se profile ici le souvenir de « Délivrance » de John Boorman. Dans une autre improvisation ce soir-là les moustiques piquent et rien ne peut les en empêcher. Lors de ces assauts tous les personnages perdent la raison et dans cette frénésie due aux piqures  retentit un hurlement de femme. Sergio propose après de faire un concours de cris. Cependant les bouffonneries ne sont pas absentes de ces improvisations. Ainsi un groupe transforme la cabaña tigrense en club de vacances minable, en lieu de dérisoires divertissements ou de réjouissantes vacuités, le tout à vendre. 

La fête triste

Dans l’étape suivante Sergio propose que cette fête se salisse et se déroule sans paroles audibles. Seules les lèvres mobiles témoignent d’un dialogue. Cependant le travail ne se fera pas dans le silence. Un chant répété à l’envie les accompagne. C’est la voix de d’Alfredo Zitarrosa que nous découvrons. Ce sera pour moi un des très beaux cadeaux que ce pays m’aura offert. Sur ce grain velouté, d’une infinie douceur empreinte de nostalgie, flotte comme un sourire qui semble murmurer si tu es triste ce n’est pas grave, tout vaut la peine d’être vécu, même ça. Ils improvisent alors des sauts dans le vide aux allures de suicides mais les morts se relèvent et le tragique se mue en farce. Les émotions labiles fluctuent avec d’infinies nuances, sur le plateau. 

Gérard - responsable pédagogique de l'ESTBA 

dimanche 15 février 2015

Jour 13 : samedi 14 février // En quête de soi

Je sens en moi un travail important émerger, et après une journée à voguer sur le fleuve Rio de la Plata, je repense au chemin parcouru... et à tout ce qui nous attend.  
Sergio me dit de penser minimalisme, ne pas avoir la volonté de faire trop de choses, oser jouer dans une parfaite relaxation ! Plus nous avançons, plus je vois naître un travail semblable à celui de l’Actor’s Studio de New York, ce n’est pas si loin finalement, « le jeu brut », comment nous créons nos émotions, nos histoires, nos non-dits... Buenos Aires devient une véritable mine d’or : chaque couleur m’inspire, chaque personne devient personnage, je suis un aimant, et malgré ma petite taille, je sens que je me remplis énormément, et heureusement il reste encore beaucoup de place !
Je vois cette création comme une prise de risque belle, jeune et osée. Un bon ami, mentor de toujours, me rappelle ceci: « Si affaissé, brimé, si fini que tu sois, demande toi régulièrement - et irrégulièrement - qu'est-ce qu'aujourd'hui encore je peux risquer ? »
(
Henri Michaux)

Anthony - élève